Extraits du livre « Les Belges du bout du monde » publié par les Editions Labor. Auteurs : Adrien Joveneau et Anne Deflandre
Avant de mettre le cap sur les Marquises, Jacques Brel avait déjà tout compris : « L’Homme est un nomade, il est fait pour se promener, pour aller de l’autre côté de la colline… » Ce besoin de migration, qui existe chez de nombreux peuples, apparaît sans doute de manière hypertrophiée chez le Belge, qui vit dans un pays tellement petit qu’il éprouve souvent l’envie d’en sortir.
Aujourd’hui, cinq cent mille Belges vivent à l’étranger; la plupart par choix délibéré. Certains sont partis par amour ou pour affaires, pour participer à la construction d’un monde meilleurs ou pour assouvir une passion… Leurs destins étonnants nous font souvent rêver. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que la réussite est toujours au bout du chemin! Il faut souvent une bonne dose de courage et de travail pour (re)commencer ailleurs, accepter aussi de renoncer aux avantages que procure la vie en Belgique.
Serge n’insiste pas mais propose à sa compagne d’aller visiter le Québec en vacances. Le couple fait le tour de toutes les régions. Touché! Monique en revient séduite et ébranlée. L’année suivante, l’idée à progressé. Ils retournent sur place pour une inspection plus précise de la région de Lanaudière. Cette fois-ci, ils emmènent Geoffrey, le fils de Monique, pour qu’il fasse connaissance avec le Québec. « J’avais beaucoup aimé ce coin qui se trouve à une heure de voiture au nord de Montréal dans la plaine du Saint-Laurent mais qui flirte déjà avec la montagne, le fameux bouclier canadien. » Moins couru que les Laurentides voisines (les Ardennes des Montréalais), cette région agricole développe un tourisme nature, avec comme principales attractions la chasse, la pêche, les sports d’eau en été et les activités liées à la neige en hiver. Pour Serge, appelé à se déplacer dans la province, cette situation à la croisée des chemins (entre Montréal, Québec et l’Ontario) est idéale. Les dés sont donc jetés mais ils auront roulé pendant plus de deux ans, entre le moment de la demande d’immigration et l’obtention du permis de résident permanent au Canada. N’immigre plus qui veut! Finalement, le visa tant attendu arrive, et heureusement, car les meubles ont déjà pris la direction de Saint-Alphonse-Rodriguez.
Le couple a tout vendu en Belgique. Une décision difficile à prendre pour Monique car elle implique la cessation de sa boutique. Qui plus est, son fiston fait de la résistance, et n’a aucune envie de quitter ses amis. Mais ce petit bout de femme dynamique se sent déjà tout excitée par son nouveau projet : « Je n’imaginais pas de rester sans travailler et, comme tout le monde nous promettait de venir nous voir au Québec, ça m’a donné l’idée d’ouvrir des chambres d’hôtes. » La maison qu’ils dénichent à Saint-Alphonse s’y prête à merveille. Avant de pendre la crémaillère, de nombreux travaux s’imposent. A peine arrivée, Monique s’adjoint les services d’un architecte pour concevoir des plans. Le couple décide de réaménager complètement l’énorme grange qui jouxte la maison afin d’y installer l’accueil, la salle à manger, la cuisine, cinq chambres et deux salles de bains. Il faut refaire la chape, le toit, installer une nouvelle fosse septique, aménager puis meubler les pièces…la grange ainsi transformée est reliée à leur maison grâce à une passerelle, bien pratique pour éviter de se refroidir l’hiver.
Nos Belges mènent à bien ce travail gigantesque tambour battant puisque trois mois plus tard, alors que Saint-Alphonse se dore au soleil de juillet, le gros des travaux est terminé. ……. Très vite Monique se rend compte qu’elle ne pourra pas se contenter d’héberger ses hôtes qui, souvent, demandent à manger sur place. Quant aux Québécois, ils renâclent sur le sirop d’érable et réclament avec insistance des spécialités belges! Elle décide donc de passer derrière les fourneaux et paie des droits de restauration ainsi qu’un permis d’alcool pour les repas…
La suite, vous la connaissez et si vous ne la connaissez pas, vous avez juste à venir nous voir pour la découvrir sur place.

Voici notre histoire
Fille de marchand d’animaux et d’éleveur de chevaux à Lembeek (Halle), Monique est presque née sur une selle et compte d’ailleurs à son palmarès quelques beaux classements en sauts d’obstacle. Le cheval marque aussi de savoureux souvenirs d’enfance : « Papa avait un élevage de Shetland et de Welsh (ce sont des races de poney). Je n’avais aucune cousine de mon âge, mais rien que des cousins qui venaient en vacances à la ferme chez mes parents. Pas question évidemment de jouer à la poupée! Ce que je préférais, c’étaient les courses; nous partions dans la prairie et chacun de nous attrapait un poney (mon choix se portait toujours sur Lizette). Un simple licol en nylon en guise de bridon, une grosse corde à vache pour remplacer les rênes. Pas besoin de selle, nous sautions « à cru » sur le dos de nos fiers destriers pour poursuivre, plus dans notre imagination que dans la réalité, les troupeaux de vaches dans le fin fond du Far West! » Normal qu’après ça, elle ait envie de rester proche des chevaux! Durant quinze ans, elle tient une boutique d’équipements équestres à Halle (près de Bruxelles). « J’aimais ça, car les gens venaient acheter leur matériel, bien sûr, mais beaucoup de clients passaient aussi pour me demander conseil. » C’est là qu’elle rencontre Serge, alors moniteur d’équitation, diplômé de l’école d’équitation de Gesves, qui vient s’approvisionner tous les lundis dans son magasin. A force de discuter matériel et harnais, les deux cavaliers décident de faire un bout de route ensemble. Bientôt, Serge abandonne l’équitation pour un emploi plus lucratif dans une société d’abrasifs industriels. En catimini, il caresse le rêve de partir pour l’étranger, au Canada ou en Australie… Un soir, le voilà qui revient avec une proposition de contrat sous le bras. Destination : le Québec. « Je ne voulais pas en entendre parler », se souvient Monique. Toute ma vie et ma famille étaient ici. Les affaires marchaient de mieux en mieux et je comptais même faire des transformations : créer un département spécialisé dans le poney, un créneau qui s’annonçait très porteur. De plus, au jumping aussi, tout le monde nous connaissaient; j’avais beaucoup d’amis. Je ne pouvais pas admettre d’abandonner tout ça ni même concevoir que tout allait pouvoir continuer sans moi. En fait, je me suis rendu compte par la suite que les gens oublient très vite! »